EPU95-Montmorency

Cardiologie

 Mise à jour du 24 Avril 2007*

fibrillation auriculaire – approche GÉRIATRIQUE

Dr J. Boddaert

Gériatre – Service du Pr. M. Verny (Hôpital Pitié - Salpêtrière)

Févier 2004

 

1.       Le raisonnement GÉRIATRIQUE

En raison des particularités liées à l’âge, l’approche du sujet âgé repose sur un raisonnement qui cherche :

-          A faire la part des choses entre ce qui revient strictement au vieillissement (en réalité peu) ou à la pathologie d’organe,

-          A traquer les facteurs déclenchants, fréquents chez le grand vieillard, capables d’avoir décompensé une pathologie (1 + 3 du schéma ci-dessous, JP Bouchon, Revue du Prat 1984).


Sur le schéma présenté :

 


-          La pente 1 représente le vieillissement d’organe, inéluctable, dont on sait actuellement avec la durée de vie de l’homme, qu’il ne conduira pas le patient en dessous du seuil de mauvaise tolérance, dit d’insuffisance.

-          La pente 2 représente la pathologie d’organe, qui infléchit la pente de l’âge pour la mener plus vite au seuil d’insuffisance, comme par exemple une cardiopathie ischémique qui sous la forme d’un infarctus du myocarde, peut mener au seuil d’insuffisance.

-          La pente 3 est la « proie » du raisonnement gériatrique :

o        C’est l’élément qui nous interpellera particulièrement devant un patient en situation cliniquement critique parce qu’il aura déstabilisé un état antérieurement équilibré.

o        C’est surtout l’élément qu’il est indispensable et parfois plus simple à traiter que l’organe.

Ainsi, dans le cadre de l’infarctus du myocarde sur cardiopathie ischémique, la recherche d’une anémie (témoin d’une hémorragie digestive lors de prise d’AINS pour arthrose ancienne et parfois lors d’une automédication) est plus rentable : transfuser un patient anémié est vital, et suffit parfois à passer le cap aigu de l’insuffisance coronaire. Tandis que soigner l’insuffisance coronaire sans voir l’anémie conduit à une surenchère thérapeutique délétère, et généralement à la conclusion fataliste et classique « on ne lui rendra pas ses coronaires de 20 ans … », quand il suffisait de lui rendre les globules rouges de 80 ans partis dans son tube digestif !

Ce raisonnement s’applique à de nombreuses pathologies et l’exemple de la fibrillation atriale dans l’insuffisance cardiaque en est un autre, classique.

2.       conséquences du vieillissement sur l’appareil cardio-vasculaire

 

2.1. L’augmentation de la pression artérielle systolique

Le vieillissement artériel se caractérise :

-          par une augmentation du calibre et de la lumière des grosses artères riches en tissus élastique, une augmentation de la longueur (ASP avec aortes calcifiées), un épaississement de la paroi intimale, une dysfonction endothéliale qui joue probablement un rôle dans le contrôle fin de la pression artérielle,.

-          et surtout par une augmentation de la rigidité artérielle liée à une augmentation du ratio collagène/élastine, dégradation de l’élastine, accumulation des AGEs (advanced glycation end-products), produits de la glycation non enzymatique des protéines de la matrice extra-cellulaire.

Cette rigidité de la paroi artérielle est associée dans l’augmentation de la PA systolique due à l’âge, à l’hypertrophie ventriculaire gauche qui, elle, est liée à une augmentation de la post-charge.

 

2.2. La dysfonction diastolique « DD »

2.2.1. Le vieillissement myocardique

Il se caractérise par des plages de fibrose, une raréfaction des myocytes, un épaississement de la paroi, une modification du métabolisme phosphocalcique. Il aboutit à un trouble de la relaxation et un défaut de remplissage ventriculaire réalisant une authentique dysfonction diastolique. Cette caractéristique soulève deux notions essentielles en gériatrie :

-          La fragilité du grand vieillard en situation aiguë.

-          Pace que la dysfonction diastolique étant un processus lié à l’âge, elle ne peut seule générer un tableau d’insuffisance cardiaque « diastolique » (ou à fonction systolique normale). 

Il est donc fondamental de trouver le facteur déclenchant responsable, car celui-ci est constant. Tant que le facteur déclenchant ne sera pas identifié et traité, la situation peut récidiver ou durer. C’est l’exemple de la fibrillation atriale paroxystique, parfois difficile à mettre en évidence. Ceci est l’exemple du 1 + 3, et non plus du 1 + 2 + 3, où la cardiopathie sous-jacente n’est pas indispensable, tant les modifications myocardiques liées à l’âge sont significatives. Dans tous ces modèles, le 3 est toujours présent.

2.2.2. La dysfonction diastolique (DD)

Elle est présente chez le sujet âgé à des degrés divers et variés, en raison de l’hétérogénéité du vieillissement. On peut à 80-90 ans, n’avoir aucune dysfonction diastolique.

Remplissage du VG

Echo

Passif

Onde E

Systole auriculaire

Onde A

Jeune

85%

15%

Vieillard

60-70%

30-40%

Dans un cœur normal, le remplissage ventriculaire se fait

-          Essentiellement de manière passive (85 %, onde E) lors du relâchement ventriculaire

-          Puis la systole auriculaire intervient à hauteur de 15% (onde A)

-          Rapport E/A >1.

Chez le grand vieillard avec une DD,

-          Le défaut de relaxation altère le remplissage ventriculaire passif

-          La systole auriculaire, pour lutter contre la rigidification myocardique et le défaut de remplissage, compense alors jusqu’à 30 à 40% du remplissage ventriculaire (onde A).

-          C’est l’inversion du rapport E/A, qui devient < 1.

On comprend ainsi que lors d’un passage en FA, le tableau diffère significativement en cas de DD : car la FA entraîne la perte de la systole auriculaire, et donc 30 à 40% du remplissage en cas de DD : on aboutit alors à une poussée d’insuffisance cardiaque. C’est le classique OAP flash de l’insuffisance cardiaque à fonction systolique normale.

2.2.3. La fréquence de la DD.

Au-delà de 80 ans, la DD est le mécanisme sous-tendu dans près de 50% des insuffisances cardiaques.

Les facteurs de risque de la DD sont :

-          Age,

-          HTA,

-          HVG (la place pour le remplissage ventriculaire est encore amoindrie),

-          Cardiopathie ischémique qu’il faut savoir rechercher.

2.2.4. Les critères diagnostiques de la dysfonction diastolique 

La DD est plus probable que certainement démontrable, puisque l’on ne peut effectuer un cathétérisme cardiaque à tous les patients âgés. Il existe cependant des facteurs qui peuvent suggérer un mécanisme plutôt diastolique que systolique :

-          un OAP à pression élevée,

-          une HVG,

-          une FA,

-          une perfusion IV trop rapide.

Les actions utiles devant une DD décompensée (IC à fonction systolique normale) se situent au niveau de :

-          la correction et la prévention des facteurs déclenchants,

-          le choix des traitements qui font régresser l’HVG quand il y en a une (IEC),

-          ou qui donnent du temps au remplissage ventriculaire en prolongeant la diastole : Inhibiteurs calciques de type vérapamil, diltiazem, ou béta bloqueurs

Les Facteurs de décompensation de la DD

-          FA,

-          remplissage vasculaire excessif,

-          épisode infectieux,

-          anémie, hypoxémie,

-          ischémie myocardique,

-          poussée hypertensive,

-          insuffisance rénale,

-          la IATROGENIE !!! AINS +++ via l’anémie ou l’insuffisance rénale.

3.       FIBRILLATION ATRIALE ou AURICULLAIRE :

La fonction sinusale auriculaire vieillit, liée à une fibrose du collagène et une raréfaction des cellules du nœud sinusal qui peut atteindre à 75 ans 10% du stock cellulaire initial. Ainsi, il suffit du moindre événement pour que ce nœud entre en FA.

 

3.1. Epidémiologie de la FA :

La fréquence est liée à l’âge :

-          1% avant 60 ans ;

-          15% à plus de 80 ans ;

-          1 sur 5 après 90 ans.

Espérance de vie :

-          Le taux de mortalité des sujets en FA est multiplié par 2 ou 3.

-          La FA est aussi un facteur de risque de démence soit par AVC massif, soit infarctus silencieux et/ou modification hémodynamique sur des carotides sténosées.

La FA est un événement grave justifiant une réponse médicale acharnée.

 

3.2. La Prise en charge thérapeutique d’une fibrillation atriale

Si une étude a montré que l’on pouvait laisser les patients en FA sans les réduire chez des sujets encore jeunes, il n’en va pas de même chez le vieillard pour les raisons que l’on a décrites.

3.2.1. La réduction de la fibrillation est le premier objectif

La réduction de la FA peut faire appel soit au choc électrique, soit à l’aide d’antiarythmique.

Choc électrique externe (CEE) en cas de mauvaise tolérance.

Le choc électrique par voie trans-oesophagienne (ETO) est difficilement réalisable en pratique chez de grands vieillards.

En dehors de toute étude, l’association cordarone et anticoagulants en phase aiguë en même temps et sans attendre les 3 semaines classiques d’anticoagulants, avec une dose de charge de 30 à 50 cp, étalée sur 7 à 10 jours, soit 2 à 3 voir 4 cp par jour jusqu’au cumul de la dose de charge. Un contrôle de TSH au début du traitement sera répété ultérieurement. Si la réduction de la FA est obtenue, la cordarone est donnée à la dose d’entretien (1 cp par jour).

-          La cordarone est le seul anti-arythmique que l’on peut utiliser en ville avec un maximum de sécurité.

-          Les autres ont un index thérapeutique très limité avec un risque de passer rapidement de l’effet attendu à l’effet indésirable et sont donc à manier sous contrôle de cardiologues.

3.2.2. Le deuxième objectif est la recherche de l’élément ayant favorisé le passage en FA

On ne revient pas sur ce point.

3.2.3. Le risque embolique et la prévention par les anti-vitamines K

La FA paroxystique et la FA permanentes présentent le même risque embolique. Les principaux facteurs de risques qui ressortent des études sont :

-          l’âge

-          l’hypertension

-          le diabète

-          les antécédents d’AVC

-          l’insuffisance cardiaque

En fonction de l’âge et des autres facteurs de risque, la probabilité du risque a pu être établi, résumée dans le tableau ci-dessous

 

Pourcentage de risque de faire un accident embolique, par an et selon le sujet

Caractéristiques du sujet

Pourcentage de risque

60 ans (sans facteurs de risques)

1 %

75 ans (avec 1 facteur de risque)

10 %

75 ans (avec 2 facteurs de risques)

20 %

 

L’incidence non négligeable de ce risque permet de discuter les AVK chez le sujet âgé (car 20 % = 1 sujet / 5).

Il faut retenir qu’un AVK est plus puissant que l’aspirine ; que l’aspirine est mieux qu’un placebo. La démarche est donc la suivante :

-          Est-ce que je peux soumettre le patient aux AVK ?

-          Si une contre-indication aux AVK existe, puis-je le soumettre à l’aspirine ?

-          Si je ne peux utiliser ni les AVK ni l’aspirine, je ne peux rien faire

-          Le Plavix ® n’a pas d’indication, mais pourrait se discuter en cas de contre-indication aux AVK et à l’aspirine.

Sous traitement par AVK, l’hémostase du patient nécessite une surveillance étroite : TP - INR

Dans quelle fourchette doit-on maintenir l’INR ?

Entre 2 et 3 pour tenir compte des avantages / risques du traitement des AVK :

-          Le risque d’AVC ischémique embolique est lié à la maladie et c’est celui que les AVK essayent de prévenir. Il est multiplié par :

o        2 si l’INR descend entre 2 et 1,7

o        4 s’il est en dessous de 1,7.

-          Le risque hémorragique est l’obsession du médecin, car il est de sa responsabilité. Approximativement, toute augmentation de l’INR de 1 point multiplie le risque hémorragique par 1,3. Pour un :

o        INR = 3, il est de 3,9 

o        INR = 4, il est de 5,2.

Les études ont montré que sur 1000 patients traités pendant 1 an, on empêche 30 AVC , on sauve 7 vies, on génère 7 accidents hémorragiques iatrogènes . Le bénéfice est important, surtout chez le grand vieillard compte tenu des risques accumulés.

Les limites de la mise sous traitement AVK sont inhérentes à l’état cognitif et aux conditions de vie et d’encadrement du patient.

Chez le vieillard on surveille l’INR mais aussi l’hémoglobine. Il ne faut pas hésiter à la doser à chaque INR pour traquer l’anémie par saignement occulte, le plus souvent digestif. Une Hb < à 12 g chez le vieillard est anormale !!!! C’est une anémie et il faut en chercher l’origine.

 

3.3. Les facteurs déclenchants de la FA et leur recherche

En phase aiguë, le traitement de la cause déclenchante est important et peut suffire à restaurer un rythme sinusal. Les principales causes à rechercher sont une :

-          valvulopathie mitrale

-          anémie

-          dysthyroidie

-          diarrhée

-          fièvre

-          hypoxie (EP)

-          ischémie myocardique (coronaire droite)

-          alcool

3.3.1. La biologie utile en cas de FA

En fonction de la clinique, un certain nombre d’examens sont recommandés en présence d’une FA :

-          hémoglobine

-          Iono sanguin en particulier la kaliémie

-          créatininémie (insuffisance rénale aiguë avec hyerK)

-          CRP (foyer infectieux)

-          Troponin, D-dimères et gaz du sang (embolie pulmonaire)

-          bilan d’hémostase et TSH en fonction du traitement-

3.3.2. Echographie cardiaque

L’échographie trans-thoracique (ETT), la plus fréquemment chez le sujet âgé, permet :

-          De mesurer la taille de l’oreillette gauche. Lorsqu’elle est très dilatée, la FA est souvent difficile à réduire.

-          D’évaluer la fonction systolique 

-          De rechercher une valvulopathie 

L’échographie trans-oesophagienne (ETO) est peu couramment utilisée chez le vieillard. Elle permettrait de visualiser des contrastes spontanés ou thrombus dans l’OG.

L’utilisation transitoire d’héparine à la pompe ou bien d’héparine à bas poids moléculaire (HBPM) est indiquée en déclenchant rapidement le traitement AVK en parallèle. La tendance est de laisser les patients aux AVK même devant une FA paroxystique car la rechute est probable. Au minimum le traitement par AVK doit être de 4 à 6 semaines, et si possible à vie…L’évaluation du patient et du contexte socio-cognitif avant mise aux AVK est impérative.

 

3.4. AVK et autres médicaments

Un nombre important de médicaments peuvent interférer sur l’action des AVK : surtout les antibiotiques, les AINS, l’huile de parrafine etc…

D’une manière générale, ne conserver que les traitements utiles et lutter contre la sur-prescription médicale.

En cas de déséquilibre INR, par surdosage en AVK :

-          si 3 < INR < 5, la prochaine dose doit être supprimée et les suivantes réduites. La question du pourquoi doit être posée …

-          si 5 < INR < 9 (avec ou sans saignement) les doses sont supprimées jusqu’à l’obtention d’un INR correct, les doses ultérieures seront réduites. De la vitamine K per os (1 ou 2 mg) peut être donné.

-          si INR > 9 hospitalisation justifiée car situation à risque.

4.       Conclusion

Le vieillissement a pour conséquence de fragiliser le sujet âgé, mais n’explique jamais à lui seul une situation aiguë. Dans une telle situation, la recherche d’un facteur déclenchant est fondamentale, en gardant en tête l’obsession permanente de la pathologie iatrogène.

La fibrillation atriale est fréquente et grave. Les recommandations des sociétés savantes au-delà de 75 ans vont dans le sens de la prescription d’AVK, avec une surveillance adaptée.