EPU95-Montmorency
Pédiatrie
Mise à jour du 10 Mai 2007
Les Abus Sexuels :
REPÈRE pour le Passionnel
Dr. Gernez
Psychiatre -
psychanalyste - Séance du 23 janvier 2000
1.
les abus sexuels dans le cadre des urgences ?
Parler des abus sexuels comme urgence peut apparaître
paradoxal.
4
La plupart des médecins connaissent les obligations
légales auxquelles le médecin est soumis « quand il discerne qu’un mineur auprès duquel il est appelé est
victime de sévices ». Cet aspect légal ne sera pas abordé ici.
4
Mais une certaine prudence s’impose, car le médecin
n’a pas souvent la certitude de la justesse de ses soupçons, et une
dénonciation erronée peut avoir d’atroces conséquences notamment en cas
d’abus sexuels.
Le propos du jour est de parler de tous les états où le
médecin ne sait pas s’il y a ou non abus.
4
Que doit-il faire compte tenu du degré de
suspicion ?
4
Doit-il intervenir ?
4
Doit-il se donner le temps de réfléchir et de poser
le problème de manière à avoir un avis qui soit plus clair ?
Pour traiter de ce thème, nous allons nous éloigner de
la clinique, et par contre reprendre les positions théoriques à partir
notamment d’un certain nombre d’auteurs et le chemin sera le suivant :
4
Commencer par décrire les positions purement
théoriques,
4
Etudier deux références concernant deux livres
publiés résumant deux positions opposées mais au moins claires et qui
permettront à chacun de se situer.
4
A partir de ces deux auteurs et des positions
qu’ils prennent vis à vis des abus sexuels et plus particulièrement de
l’inceste, je reprendrai les positions de psychanalystes et de psychiatres
qui parlent de l’agression.
Je dirai, qu’à mon avis, pour sortir une vérité
concernant un inceste, il faut situer le repère de la passion. Il y a là
une possibilité de se mettre à distance et de réfléchir sur ce qui se passe
pour ensuite mieux se positionner à la situation.
2.
La clinique n’APPARAÎT pas un bon repère
2.1. Le mensonge ou l’allégation de l’enfant
Pour qu’il y ait
mensonge, il faut qu’il y ait conscience de mentir. Or le jeune enfant
ne se situe pas dans le désir de dire la vérité mais dans celui de plaire
au parent. Souvent, il lui apparaîtra comme réalité ce qu’il sentira faire
plaisir au parent.
Le mensonge de l’enfant me semble d’autant plus
incertain quand on a affaire à des problèmes d’incestes que très souvent
les allégations de l’enfant sont annulées par lui-même dans les jours ou
les 15 jours qui suivent, soit parce que il a rencontré d’autres parents,
soit qu’il se trouve dans une culpabilité telle qu’il dit le contraire de
ce qu’il a dit initialement. On
souhaite qu’il dise qu’il ne s’est rien passé, ou qu’il dise qu’il s’est
passé quelque chose.
On ne peut pas parler de mensonge chez lui. è
Ce premier critère « du dire de
l’enfant » ne paraît pas bon.
2.2. Les signes cliniques
Peut-on attacher de l’importance à des signes cliniques
que présente un enfant tels que :
4
Conduite masturbatoire exagérée chez l’enfant,
4
Insomnie,
4
Maux de ventre,
4
Signes de dépression, … ?
Aucun de ces
signes cliniques n’est suffisamment clais pour dire qu’il s’est passé
quelque chose.
Même si le médecin se trouve devant une situation où le
problème d’inceste se pose, la signification des signes cliniques peuvent
être interprétée de façon différente suivant le regard qu’on leur accorde.
Les signes cliniques, que présente un enfant au retour
d’un week-end passé chez le père, tels une insomnie ou maux de ventre ou
des signes dépressifs, peuvent être interprétés :
4
Par l’un des regards, comme preuves d’abus sexuel.
4
Par l’autre regard, comme identification à son père
qu’il a ressenti « mal ».
Il n’existe pas de signes cliniques qui permettent de
trancher clairement dans un sens ou dans un autre.
3.
Les THEORIES
3.1. La théorie de Freud
La notion du « hors temps »
La notion du « hors temps » apparaît chez Freud
comme constante et est indispensable à comprendre. Cette notion permet de comprendre pourquoi les traumatismes sexuels
vécus dans l’enfance restent aussi présents chez l’adulte.
A cause du
« hors temps », le traumatisme ne cesse de se répéter quel que soient
les symptômes chez l’adulte ou chez l’enfant. Les abus sexuels ne seront perçus comme tels qu’à la puberté voire
à l’âge adulte.
Ceci permet d’expliquer pourquoi la clinique est si peu
claire chez l’enfant qui ne perçoit pas la dimension sexuelle dans l’abus
sexuel.
De la « neurotica » au fantasme …
Dans la lettre de Freud à Spits écrite en septembre
1896, il explique qu’il abandonne la « neurotica » (théorie de
Freud antérieure à cette lettre). C’est un tournant important dont il faut
prendre conscience. Si on ne sait pas exactement ce que Freud met dans ce
terme, on peut penser qu’il fait référence à toute sa théorisation
antérieure. Ce jour là, il nomme pour la première fois la
« neurotica », terme qui n’avait jamais été employé auparavant.
L’hystérique souffre d’un trouble de réminiscence.
Pour la
« neurotica », le trouble névrotique hystérique est d’ordre
sexuel mais surtout d’ordre traumatique faisant référence à une
réalité. Toute la première théorisation de Freud porte sur la notion que
l’hystérique souffre d’une réalité d’abus de séduction.
A partir de cette lettre, tout un travail est effectué
qui permet de développer l’idée fondamentale du fantasme. C’est la séduction non comme
traumatisme sexuel mais comme fantasme qui intervient dans la névrose
hystérique. Position que Freud gardera toute sa vie. Le motif de la
position de Freud est avant tout une position d’hésitation. C’est ce qui
l’amène à abandonner la position de « neurotica » en tout cas sur
l’idée d’un traumatisme dans la réalité à partir du moment où il travaille
sur le fantasme. Freud s’estime plus efficace quand il travaille sur le
fantasme.
Cette position aurait pu être prise à d’autre moment,
notamment dans l’article qu’il écrit en 1905 sur la théorie sexuelle
infantile, sans référence à la lettre précédente. Cet article très court a
pour caractéristique d’être celui qu’il a vraisemblablement le plus repris
par la suite. Ceci traduit la préoccupation qui reste constante chez lui de
reprendre la théorie sexuelle infantile. Celle-ci montre comment la
fantasmatisation de l’enfant est corrélative à sa structuration psychique.
Il montre comment à travers les fantasmes sur la sexualité des parents
l’enfant construit son devenir affectif et intellectuel dont va dépendre
toute sa créativité et toute sa possibilité ultérieure d’acquérir des
connaissances.
Freud se trouve là en opposition avec Ferenczi dont le
texte qu’il a écrit servait de référence en ce qui concerne la
sexualité.
3.2. La théorie de Ferenczi
Ferenczi fait
remarquer la confusion de langage entre la parole de l’enfant et celle des
parents. Un autre titre que Ferenczi avait donné lui-même à ce texte
était « Passion des adultes pour les enfants ». Ecrit en 1932 (un
an avant la mort de Ferenczi), ce texte est la première référence à la
passion.
Ferenczi, après avoir été l’élève préféré de Freud,
s’est trouvé en disgrâce vis-à-vis de lui, ce qui distendit leurs liens,
sans se trouver en opposition ouverte comme ce fut le cas pour certains
autres de ses élèves. Ils n’étaient pas d’accord sur le plan théorique,
mais Freud reconnaissait à Ferenczi sa très grande honnêteté intellectuelle
vis-à-vis de sa pratique.
Dans cet article, Ferenczi suit la démarche inverse de
celle de Freud :
4
Il constate
une insatisfaction quant à sa pratique, se trouvant en situation
d’échec. Il ne comprend pas pourquoi quand il reprend avec ses patients
l’interprétation de leurs problèmes au niveau fantasmatique, il a
l’impression dans un premier temps
être efficace et ensuite les revoir avec les mêmes symptômes.
4
Il se pose la
question : la rémanence des symptômes, au lieu de la considérer
comme liée à un fantasme, ne serait-elle pas liée à un traumatisme
réel ?. Pour répondre à cette question, il remarque que, dans sa
clientèle, nombreux sont ceux qui font état d’abus sexuel sur les enfants.
Il s’agit de personnes en responsabilité d’enfants faisant référence à leur
propre pratique sexuelle sur les enfants. A partir de là, Ferenczi pense
que les abus sexuels sont dans la
réalité, que le traumatisme fait partie des faits référents et avérés.
4
L’identification de l’agresseur se trouve être
posée là pour la première fois. Pour
Ferenczi, l’enfant a des pulsions du registre de la tendresse perçues par
certains adultes non pas comme de la tendresse mais comme une invite
sexuelle. C’est là qu’il y a confusion de langue. L’adulte au lieu de
bien interpréter ce qui se passe au niveau de l’enfant va faire une
confusion et prendre cela comme il le souhaite c’est-à-dire comme une
invite sexuelle à laquelle il répond dans la réalité.
Même si cela n’est pas
expressément dit dans le texte, cela
renvoie à une dimension très pulsionnelle de la position de l’adulte.
Si l’adulte rentre dans cette confusion c’est aussi parce que sa propre
structuration, que ce soit parce que lui-même a vécu la même chose ou pour
d’autres raisons, le place dans un champ pulsionnel c’est-à-dire qu’il
répond à une demande de tendresse par une mise en acte. Il n’y a pas
suffisamment de processus secondaire ou de médiatisation de sa propre
sexualité pour qu’il puisse bien interpréter ce qui se passe et éviter d’y
répondre de manière pulsionnelle et immédiate quand bien même cette
situation se répète.
3.3. Au total …
Ainsi Freud et
Ferenczi ont posé le problème entre réalité et fantasme.
Entre les deux positions, il peut il y avoir des voies
de passage. Les situations ne sont pas toujours si tranchées.
Pourquoi le
passionnel ? Le titre de l’article de Ferenczi semble en indiquer
la trace mais dans l’article lui-même il est fait référence au passionnel
quand il s’agit d’abus ou d’inceste comme s’il s’agissait d’une sorte
d’évidence que l’amour pédophilique se situait dans le registre de la
passion. Plus curieusement le texte évoque ces abus sans qu’il soit fait
référence à la perversion en tant que telle.
Il faut prendre les schémas de perversion comme des
modes de comportement et non pas comme des modes de structuration psychique
propres. Pour s’y retrouver il ne faut pas considérer l’adulte abuseur
comme un grand ou petit pervers mais comme quelqu’un qui pose un acte
pervers dans une problématique différente (chemin de la perversion).
4.
Deux livres…
Deux livres ont été édités sur le thème des abus
sexuels. Ils s’opposent par leur prise de position : l’un orienté
nettement vers le traumatisme, l’autre laissant une place au
fantasme : « L’enfant cassé » de C. Bonnet et « Le
piège du soupçon » de Bensoussan.
4.1. L’enfant Cassé de Catherine Bonnet
Perspective historique
Elle fait un historique très documenté sur les positions
prises concernant les abus sexuels lors des derniers siècles.
Les effets extrêmement dommageables de l’abus sexuel sur
l’évolution de l’enfant sont pris en compte tant par les instances
judiciaires que par les éducateurs depuis le siècle dernier. Ils n’étaient pas bien perçus au Moyen-âge,
ni à la Renaissance, ni même après.
Dans le livre sur l’éducation de Louis XIII, on
s’aperçoit que les jeux sexuels entre enfants et adultes, qui y sont
décrits concernant Louis XIII et ses cousins, conduiraient actuellement les
initiateurs directement en prison, alors que ces pratiques paraissaient à
l’époque tout à fait banales ou en tout cas ne sont pas signalées comme
posant problème.
L’auteur reprend l’histoire des abus sexuels, de la
position des éducateurs sur près de 200 ans et montre que d’une part il y a
une prise de conscience progressive de leur effet dommageable sur l’enfant
et d’autre part qu’ils sont considérablement plus fréquents que ce que l’on
a toujours cru.
L’évolution de la justice et des éducateurs les amène à
prendre en compte que les faits sont cachés. Pour permettre aux enfants de
dire une parole sur l’abus sexuel vécu, et pour essayer de mieux comprendre
leur situation, c’est par une décision judiciaire que devrait être placé
dans une structure (existante ou à créer) l’enfant suspect d’être victime
d’abus sexuels.
La « crédibilité » de l’enfant ?
C. Bonnet dénonce ceux qui périodiquement soutiennent la
position inverse, comme l’école canadienne qui ne peut pas suivre
aveuglément la parole de l’enfant. Celle-ci pouvant être mensongère comment
savoir s’il y a manipulation de l’enfant par les parents ou s’il s’est
passé vraiment quelque chose. Elle décrit des oscillations entre les
positions de ceux qui affirment devoir intervenir et de ceux qui veulent se
donner les moyens de ne pas punir les innocents.
Le vécu de l’enfant…
Dans un certain nombre de chapitre, elle apporte des
faits cliniques sur lesquelles elle a travaillé ou sur lesquelles elle fait
référence. Notamment dans un chapitre, elle reprend l’expérience qu’elle a
eu des enfants ayant subi des traumatismes de guerre, en faisant une sorte
de parallèle entre l’évolution d’un enfant traumatisé par faits de guerre
et celle d’un enfant traumatisé par suite d’abus sexuel.
Elle considère que l’intérêt de l’enfant s’inscrit dans
la lignée de l’abus sexuel non dit et traumatique de la réalité. Il ne faut
pas trop se préoccuper du fantasme, il vaut mieux considérer dans tous les
cas, quand il y a une suspicion, que l’on est dans un cas d’abus sexuel et
ensuite se donner effectivement les moyens de permettre l’émergence de la
parole de l’enfant par rapport à ce problème.
Dans ce registre, elle est pour une position un peu
systématique sur la séparation de l’enfant de l’abuseur soupçonné et
notamment elle propose d’hospitaliser l’enfant et en tout cas de le séparer
de son père pendant une période suffisamment longue. Elle dit que l’enfant
pourra retrouver son père quand son système psychique sera structuré ou
qu’il aura suffisamment évolué pour que le retour ne présente plus de danger,
ce retour se situant vraisemblablement lorsque l’enfant sera adolescente ou
peut-être même un peu plus tard. Elle se situe bien dans la perspective que
l’enfant puisse revoir son père à l’âge adulte ou à l’adolescence.
La question
devient donc : la séparation (l’hospitalisation) est-elle le moyen de
permettre l’émergence d’une parole de l’enfant ?
4.2. Le piège du soupçon de Bensussan
Une autre vision…
Dans ce livre, l’auteur ne prend pas de position
dogmatique et il est aussi pragmatique que possible. Son livre est moins
théorisé notamment sur l’histoire. Son titre l’indique d’ailleurs bien. Il
rapporte un certain nombre de situations. Ainsi certaines mères aux USA
sont obligées de changer d’Etat tous les six mois pour se soustraire à
l’obligation légale de présentation de l’enfant au père. Et à l’inverse,
quand l’enfant est soustrait du père on s’aperçoit que cela peut déclencher
des catastrophes sur l’évolution de l’enfant. Il reprend aussi la question
du mensonge de l’enfant.
Si pour Catherine Bonnet l’enfant dit la vérité, sur un
autre bord et dans le droit fil de l’école canadienne Bensussan montre à
quel point la parole de l’enfant a pu être influencée par certaines mères
de telle sorte que l’enfant dise exactement le contraire de ce qui s’est passé
et que cela lui sera dommageable par la suite : notamment en regard de
la culpabilité qu’il en a et des conséquences que cela a entraîné sur son
père dans la suite des évènements.
La question des certificats
Il cite sans la nommer (Catherine Bonnet) pour éviter
des poursuites sur la question des certificats. Sur ce sujet sans être en
opposition complète il s’écarte de toute théorisation.
Catherine Bonnet a (ce n’est pas un secret) des ennuis
avec le Conseil de l’Ordre car elle délivre des certificats de façon trop
systématique.
Bensussan montre que dans ces certificats trop souvent
on se met dans l’illégalité et qu’en prenant partie cela n’est pas toujours
favorable à l’intérêt des enfants.
Ses propositions sont plus nuancées et son argumentation
est de dire : « faites attention, car dés qu’il y a signalement
cela débouche sur une séparation du père et de l’enfant, et de toute façon
l’enfant ne verra plus son père avant l’âge adulte ». Donc si on est dans la suspicion on est
déjà dans la séparation.
5.
REPÈRE pour le Passionnel
5.1. Le passionnel
Il est toujours
présent bien qu’il ne soit pas clairement défini dans le contexte de
situation d’abus sexuels ou d’incestes chez l’enfant. Il permet aussi de
comprendre les positions des pères, des mères dans ces situations et
comprendre comment, nous médecins, nous pouvons nous faire impliquer dans
ces situations sans en être suffisamment avertis. En effet, le
passionnel :
4
N’est pas,
ici, une structure, une personnalité particulière mais un élément
passionnel qui peut exister dans différentes structures, dans différentes
personnalités.
4
Répond bien
à ces situations d’excès dés qu’on parle d’abus sexuel, que ce soit des
faits
o
De l’inceste lui-même
o
Des faits éventuels avec les réactions entraînées
par ceux qui sont mêlés de quelque
manière que ce soit à la situation.
5.2. Quelques données « médico-littéraires »
Pour mieux démêler le rôle du passionnel dans les abus
sexuels, quelques données médico-littéraires.
Carmen
« Si je t’aime, prends garde à toi … ». C’est
tout le champ (chant) du passionnel qui se trouve dans cette phrase.
Le passionnel se retrouve aussi dans l’érotomanie. Ce
qui est intéressant dans l’érotomanie c’est que le passionnel se retrouve
toujours : chez l’extrême psychotique il est clairement exprimé ;
mais il est aussi retrouvé pratiquement à chaque fois qu’il existe une
situation passionnelle que ce soit dans la névrose, que ce soit dans les
attitudes perverses.
Clérambaut et l’érotomanie
Cet auteur a contribué à définir la structure de l’érotomane.
Sa recherche a consisté à reprendre les monomanies. Ce qui est important
pour nous c’est qu’il a pu décrire une entité (contre ses collègues dans
une recherche presque désespérée), un syndrome qui soit pur c’est-à-dire
l’érotomanie pure. Cette érotomanie consisterait en ce qu’une personne soit
absolument persuadée que quelqu’un d’autre qu’elle n’a éventuellement
jamais vu soit follement épris de lui ou d’elle, sans qu’il y ait par
ailleurs, chez cette personne, d’autres altérations psychiques. Ce sont des
gens qui peuvent mener une vie apparemment normale et être très efficient
dans les autres domaines de leur vie. Ce sont des gens qui pourraient un
jour déclarer un épisode érotomaniaque sans que jamais ils n’aient vécu un
épisode psychotique.
Le « coup de foudre » est une expression
qu’utilise Clérambaut dans son livre. C’est-à-dire l’érotomane se déclare
un jour avoir la certitude qu’un tel qui peut être son voisin, son cousin
ou le roi d’Angleterre est amoureux de lui et que tout ce qu’il va croiser
et qu’il ne dit pas peut être interpréter comme tel. Un érotomane, par
exemple, voyant le jardin de celui qui est sensé l’aimer se dit :
« tiens il a tondu sa pelouse, c’est un signe pour que je me souvienne
qu’il m’aime ». On voit là, la recherche de Clérambaut à mettre en
évidence une érotomanie pure. Il n’est pas sûr qu’il ait réellement
découvert la forme pure, mais il a décrit des formes associées à des
éléments paranoïaques ou de revendication … .
« Les destins du plaisir » de P. Aulagnier
La passion
Dans son livre « Les destins du plaisir » P.
Aulagnier définit ce qu’est la relation passionnelle et son correspondant
qu’est la relation d’aliénation. Il s’agit là d’un couple où le sujet
« passionné » entraîne une aliénation de celui qui subit sa
passion. Pour celui qui va éprouver la passion, il a l’impression que
l’objet de sa passion est tout puissant ; tout puissant se signifiant
comme ne pouvant être atteint par aucun sentiment et ne pouvant pas en
distribuer. Il a le sentiment qu’il peut vivre sa passion mais que cela ne
le détruira pas.
L’idéalisation de
l’objet passionnel entraîne chez celui qui vit sa passion un sentiment que
rien ne pourra le faire souffrir et que l’objet de sa passion est le seul
qui pourra lui donner du plaisir notamment sur le plan sexuel.
Le passionnel peut survenir dans une relation qui était
jusque-là habituelle, qui un jour connaît le coup de foudre et à partir de
ce moment se fera sur un mode passionnel.
La passion peut s’éteindre très rapidement et presque
totalement (coup de foudre inverse), avec ce que cela peut entraîner pour
l’objet amoureux. (incompréhension, questionnement sur le pourquoi des
élans amoureux …)
Les dérives
La passion peut
s’appliquer aussi bien à la drogue, aux personnes qui ont la passion des
cartes …, mais l’objet amoureux peut aussi être un enfant. C’est
pourquoi l’adulte abuseur peut ne pas se sentir tellement coupable puisque
cet objet idéalisé et tout puissant ne peut pas souffrir. L’adulte abuseur
ou le pédophile peut très bien avoir des pratiques sexuelles avec un enfant
et se trouver de bonnes raisons à son comportement :
4
« Ce n’est pas grave, il est trop jeune il ne
se souviendra pas, de toute façon comme il aime ça je ne lui ai pas fait
mal… »
4
« De
toute façon, c’est une bonne initiation pour sa vie d’adulte… ».
Ce comportement correspond à un comportement de type
passionnel.
L’article de Julia Kristeva.
Elle y décrit la scène hystérique comme objet
passionnel. Une relation précoce, traumatique avec la mère et à sa suite
durant toute sa vie induit des états de rage hystérique chez l’adulte,
caractérisés par des accès de très grande violence notamment verbale
pouvant durer des heures, avec un dédoublement de la personnalité
c’est-à-dire que la crise passée, l’hystérique ne se reconnaît plus dans ce
qu’elle a fait tout en sachant bien qu’elle l’a fait.
Ceci pour comprendre la position que prennent certaines
femmes dans leur revendication par rapport à leur ex-conjoint et leur
extrême violence dans cette passion dès qu’il y a suspicion d’abus sexuel
chez l’enfant.
La violence de la réaction maternelle peut se comprendre
si on se situe dans la réalité du traumatisme ; et aussi prendre un
autre aspect si elle se situe dans le cadre d’une scène hystérique ne
venant pas cautionner la réalité.
« La guérison dans la psychanalyse » de Nathalie Zaltzman
Un autre exemple peut être pris dans « la guérison
dans la psychanalyse ». Nathalie Zaltzman évoque la cure d’un homme à
la suite de conduite à risque (tentative de suicide, toxicomanie, accidents).
Cet homme demande au début de son analyse à être respecté dans sa passion
pour les enfants non
pubères. Il est intéressant de voir que cet objet passionnel, qui a
tous les caractères de la passion, est aussi pour le pédophile un objet
mélancolique. Un objet mélancolique se définit comme un objet que le sujet
investit comme un objet déjà perdu. C’est-à-dire que lorsque le pédophile a
commencé, l’objet est déjà perdu au sens où il sera désinvesti quelques
mois plus tard au moment de la puberté. Cela entraînera chez lui à nouveau
un syndrome dépressif. L’objet passionnel vient recouvrir l’objet
mélancolique et il me semble que la relation passionnelle vient très
souvent colmater une structure mélancolique sinon franche ou tout au moins
un vide qui s’apparente à la mélancolie. Cet état mélancolique est parfois
colmaté par du secondaire mais pas suffisamment pour que le sujet n’ait pas
besoin à certains moments de passer par une relation passionnelle pour
restructurer sa vie.
6.
En conclusion
Vis à vis des situations de déviation, d’incestes, de
toute la violence qui se répète, de tous les excès auquel on est confronté,
à quel repère notre comportement doit-il se référer ?.
6.1. Premier repère : la référence au passionnel…
Peut-être le repère qu’il faut avoir est celui de la
référence au passionnel, avec cette idée que dans le passionnel on est
aussi toujours dans le pulsionnel c’est-à-dire dans une mise en acte
d’éléments issus de processus primaires. Il existe là un travail de
déliaison des pulsions qui sont clairement du registre de la pulsion de
mort. C’est le moment où l’on peut le mieux percevoir, cerner, toucher ce
qu’est la pulsion de mort puisqu’elle est toujours liée à d’autres
pulsions. Ici, c’est une expression de la sexualité qui traduit la pulsion de
mort. Ce n’est pas toujours aussi clair. Ici on peut le repérer et le
repérant peut s’orienter. Cette position théorique permet sur le plan
pratique de toujours se souvenir que, lorsqu’on est dans une situation de
suspicion d’abus sexuel, on est soi-même pris dans le même risque
pulsionnel ; on est toujours tenté de poser des arguments qui ne sont
pas toujours suffisamment réfléchis et qui risque de nous induire
nous-mêmes dans du passionnel. Il en est ainsi lorsqu’on tente de prendre
position et que pour essayer de sortir de ce débat coloré on envisage une
réalité traumatique tout en prenant une position passionnelle. Il faut
toujours se garder de le faire, avec une extrême prudence.
6.2. Second repère : la souffrance de l’enfant
Un autre repère paraît utile à signaler. Dès le début,
chez l’enfant, il se produit sinon un arrêt, du moins un ralentissement
grave de tout le processus de fantasmatisation autour de la théorie
sexuelle infantile et c’est toute la créativité de l’enfant qui va en
souffrir.
Ce sont des
enfants qui en plus d’être tristes, en plus d’avoir des difficultés sur le
plan cognitif pourront être effectivement très en retrait de la réalité. Il
y a tout un processus d’imagination, de création qui se fera mal.
Je ne suis pas en train de dire qu’il y a des signes
cliniques qui permettent de se repérer, mais j’essaye de donner des modes
d’être, des modes de vie qui permettent un peu de s’y retrouver et de se
repérer par rapport à ces situations d’abus…
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