EPU95-Montmorency

Pédiatrie

 Mise à jour du 10 Mai 2007

Les Abus Sexuels : REPÈRE pour le Passionnel

Dr. Gernez

Psychiatre - psychanalyste - Séance du 23 janvier 2000

 

1.    les abus sexuels dans le cadre des urgences ?

Parler des abus sexuels comme urgence peut apparaître paradoxal.

4    La plupart des médecins connaissent les obligations légales auxquelles le médecin est soumis « quand il discerne qu’un mineur auprès duquel il est appelé est victime de sévices ». Cet aspect légal ne sera pas abordé ici.

4    Mais une certaine prudence s’impose, car le médecin n’a pas souvent la certitude de la justesse de ses soupçons, et une dénonciation erronée peut avoir d’atroces conséquences notamment en cas d’abus sexuels.

Le propos du jour est de parler de tous les états où le médecin ne sait pas s’il y a ou non abus.

4    Que doit-il faire compte tenu du degré de suspicion ?

4    Doit-il intervenir ?

4    Doit-il se donner le temps de réfléchir et de poser le problème de manière à avoir un avis qui soit plus clair ?

Pour traiter de ce thème, nous allons nous éloigner de la clinique, et par contre reprendre les positions théoriques à partir notamment d’un certain nombre d’auteurs et le chemin sera le suivant :

4    Commencer par décrire les positions purement théoriques,

4    Etudier deux références concernant deux livres publiés résumant deux positions opposées mais au moins claires et qui permettront à chacun de se situer.

4    A partir de ces deux auteurs et des positions qu’ils prennent vis à vis des abus sexuels et plus particulièrement de l’inceste, je reprendrai les positions de psychanalystes et de psychiatres qui parlent de l’agression.

Je dirai, qu’à mon avis, pour sortir une vérité concernant un inceste, il faut situer le repère de la passion. Il y a là une possibilité de se mettre à distance et de réfléchir sur ce qui se passe pour ensuite mieux se positionner à la situation.

2.    La clinique n’APPARAÎT pas un bon repère

2.1. Le mensonge ou l’allégation de l’enfant

Pour qu’il y ait mensonge, il faut qu’il y ait conscience de mentir. Or le jeune enfant ne se situe pas dans le désir de dire la vérité mais dans celui de plaire au parent. Souvent, il lui apparaîtra comme réalité ce qu’il sentira faire plaisir au parent.

Le mensonge de l’enfant me semble d’autant plus incertain quand on a affaire à des problèmes d’incestes que très souvent les allégations de l’enfant sont annulées par lui-même dans les jours ou les 15 jours qui suivent, soit parce que il a rencontré d’autres parents, soit qu’il se trouve dans une culpabilité telle qu’il dit le contraire de ce qu’il a dit initialement. On souhaite qu’il dise qu’il ne s’est rien passé, ou qu’il dise qu’il s’est passé quelque chose.

On ne peut pas parler de mensonge chez lui. è Ce premier critère « du dire de l’enfant » ne paraît pas bon.

2.2. Les signes cliniques

Peut-on attacher de l’importance à des signes cliniques que présente un enfant tels que :

4    Conduite masturbatoire exagérée chez l’enfant,

4    Insomnie,

4    Maux de ventre,

4    Signes de dépression, … ?

Aucun de ces signes cliniques n’est suffisamment clais pour dire qu’il s’est passé quelque chose.

Même si le médecin se trouve devant une situation où le problème d’inceste se pose, la signification des signes cliniques peuvent être interprétée de façon différente suivant le regard qu’on leur accorde.

Les signes cliniques, que présente un enfant au retour d’un week-end passé chez le père, tels une insomnie ou maux de ventre ou des signes dépressifs, peuvent être interprétés :

4    Par l’un des regards, comme preuves d’abus sexuel.

4    Par l’autre regard, comme identification à son père qu’il a ressenti « mal ».

Il n’existe pas de signes cliniques qui permettent de trancher clairement dans un sens ou dans un autre.

3.  Les THEORIES

3.1. La théorie de Freud

La notion du « hors temps »

La notion du « hors temps » apparaît chez Freud comme constante et est indispensable à comprendre. Cette notion permet de comprendre pourquoi les traumatismes sexuels vécus dans l’enfance restent aussi présents chez l’adulte.

 A cause du « hors temps », le traumatisme ne cesse de se répéter quel que soient les symptômes chez l’adulte ou chez l’enfant. Les abus sexuels ne seront perçus comme tels qu’à la puberté voire à l’âge adulte.

Ceci permet d’expliquer pourquoi la clinique est si peu claire chez l’enfant qui ne perçoit pas la dimension sexuelle dans l’abus sexuel.

De la « neurotica » au fantasme …

Dans la lettre de Freud à Spits écrite en septembre 1896, il explique qu’il abandonne la « neurotica » (théorie de Freud antérieure à cette lettre). C’est un tournant important dont il faut prendre conscience. Si on ne sait pas exactement ce que Freud met dans ce terme, on peut penser qu’il fait référence à toute sa théorisation antérieure. Ce jour là, il nomme pour la première fois la « neurotica », terme qui n’avait jamais été employé auparavant.

L’hystérique souffre d’un trouble de réminiscence.

Pour la « neurotica », le trouble névrotique hystérique est d’ordre sexuel mais surtout d’ordre traumatique faisant référence à une réalité. Toute la première théorisation de Freud porte sur la notion que l’hystérique souffre d’une réalité d’abus de séduction.

A partir de cette lettre, tout un travail est effectué qui permet de développer l’idée fondamentale du fantasme. C’est la séduction non comme traumatisme sexuel mais comme fantasme qui intervient dans la névrose hystérique. Position que Freud gardera toute sa vie. Le motif de la position de Freud est avant tout une position d’hésitation. C’est ce qui l’amène à abandonner la position de « neurotica » en tout cas sur l’idée d’un traumatisme dans la réalité à partir du moment où il travaille sur le fantasme. Freud s’estime plus efficace quand il travaille sur le fantasme.

Cette position aurait pu être prise à d’autre moment, notamment dans l’article qu’il écrit en 1905 sur la théorie sexuelle infantile, sans référence à la lettre précédente. Cet article très court a pour caractéristique d’être celui qu’il a vraisemblablement le plus repris par la suite. Ceci traduit la préoccupation qui reste constante chez lui de reprendre la théorie sexuelle infantile. Celle-ci montre comment la fantasmatisation de l’enfant est corrélative à sa structuration psychique. Il montre comment à travers les fantasmes sur la sexualité des parents l’enfant construit son devenir affectif et intellectuel dont va dépendre toute sa créativité et toute sa possibilité ultérieure d’acquérir des connaissances.

Freud se trouve là en opposition avec Ferenczi dont le texte qu’il a écrit servait de référence en ce qui concerne la sexualité. 

3.2. La théorie de Ferenczi

Ferenczi fait remarquer la confusion de langage entre la parole de l’enfant et celle des parents. Un autre titre que Ferenczi avait donné lui-même à ce texte était « Passion des adultes pour les enfants ». Ecrit en 1932 (un an avant la mort de Ferenczi), ce texte est la première référence à la passion.

Ferenczi, après avoir été l’élève préféré de Freud, s’est trouvé en disgrâce vis-à-vis de lui, ce qui distendit leurs liens, sans se trouver en opposition ouverte comme ce fut le cas pour certains autres de ses élèves. Ils n’étaient pas d’accord sur le plan théorique, mais Freud reconnaissait à Ferenczi sa très grande honnêteté intellectuelle vis-à-vis de sa pratique.

Dans cet article, Ferenczi suit la démarche inverse de celle de Freud :

4    Il constate une insatisfaction quant à sa pratique, se trouvant en situation d’échec. Il ne comprend pas pourquoi quand il reprend avec ses patients l’interprétation de leurs problèmes au niveau fantasmatique, il a l’impression dans un premier temps être efficace et ensuite les revoir avec les mêmes symptômes.

4    Il se pose la question : la rémanence des symptômes, au lieu de la considérer comme liée à un fantasme, ne serait-elle pas liée à un traumatisme réel ?. Pour répondre à cette question, il remarque que, dans sa clientèle, nombreux sont ceux qui font état d’abus sexuel sur les enfants. Il s’agit de personnes en responsabilité d’enfants faisant référence à leur propre pratique sexuelle sur les enfants. A partir de là, Ferenczi pense que les abus sexuels sont dans la réalité, que le traumatisme fait partie des faits référents et avérés.

4    L’identification de l’agresseur se trouve être posée là pour la première fois. Pour Ferenczi, l’enfant a des pulsions du registre de la tendresse perçues par certains adultes non pas comme de la tendresse mais comme une invite sexuelle. C’est là qu’il y a confusion de langue. L’adulte au lieu de bien interpréter ce qui se passe au niveau de l’enfant va faire une confusion et prendre cela comme il le souhaite c’est-à-dire comme une invite sexuelle à laquelle il répond dans la réalité.

Même si cela n’est pas expressément dit dans le texte, cela renvoie à une dimension très pulsionnelle de la position de l’adulte. Si l’adulte rentre dans cette confusion c’est aussi parce que sa propre structuration, que ce soit parce que lui-même a vécu la même chose ou pour d’autres raisons, le place dans un champ pulsionnel c’est-à-dire qu’il répond à une demande de tendresse par une mise en acte. Il n’y a pas suffisamment de processus secondaire ou de médiatisation de sa propre sexualité pour qu’il puisse bien interpréter ce qui se passe et éviter d’y répondre de manière pulsionnelle et immédiate quand bien même cette situation se répète.

3.3. Au total …

Ainsi Freud et Ferenczi ont posé le problème entre réalité et fantasme.

Entre les deux positions, il peut il y avoir des voies de passage. Les situations ne sont pas toujours si tranchées.

Pourquoi le passionnel ? Le titre de l’article de Ferenczi semble en indiquer la trace mais dans l’article lui-même il est fait référence au passionnel quand il s’agit d’abus ou d’inceste comme s’il s’agissait d’une sorte d’évidence que l’amour pédophilique se situait dans le registre de la passion. Plus curieusement le texte évoque ces abus sans qu’il soit fait référence à la perversion en tant que telle.

Il faut prendre les schémas de perversion comme des modes de comportement et non pas comme des modes de structuration psychique propres. Pour s’y retrouver il ne faut pas considérer l’adulte abuseur comme un grand ou petit pervers mais comme quelqu’un qui pose un acte pervers dans une problématique différente (chemin de la perversion).

4.  Deux livres…

Deux livres ont été édités sur le thème des abus sexuels. Ils s’opposent par leur prise de position : l’un orienté nettement vers le traumatisme, l’autre laissant une place au fantasme : « L’enfant cassé » de C. Bonnet et « Le piège du soupçon » de Bensoussan.

4.1. L’enfant Cassé de Catherine Bonnet

Perspective historique

Elle fait un historique très documenté sur les positions prises concernant les abus sexuels lors des derniers siècles.

Les effets extrêmement dommageables de l’abus sexuel sur l’évolution de l’enfant sont pris en compte tant par les instances judiciaires que par les éducateurs depuis le siècle dernier.  Ils n’étaient pas bien perçus au Moyen-âge, ni à la Renaissance, ni même après.

Dans le livre sur l’éducation de Louis XIII, on s’aperçoit que les jeux sexuels entre enfants et adultes, qui y sont décrits concernant Louis XIII et ses cousins, conduiraient actuellement les initiateurs directement en prison, alors que ces pratiques paraissaient à l’époque tout à fait banales ou en tout cas ne sont pas signalées comme posant problème.

L’auteur reprend l’histoire des abus sexuels, de la position des éducateurs sur près de 200 ans et montre que d’une part il y a une prise de conscience progressive de leur effet dommageable sur l’enfant et d’autre part qu’ils sont considérablement plus fréquents que ce que l’on a toujours cru.

L’évolution de la justice et des éducateurs les amène à prendre en compte que les faits sont cachés. Pour permettre aux enfants de dire une parole sur l’abus sexuel vécu, et pour essayer de mieux comprendre leur situation, c’est par une décision judiciaire que devrait être placé dans une structure (existante ou à créer) l’enfant suspect d’être victime d’abus sexuels.

La « crédibilité » de l’enfant ?

C. Bonnet dénonce ceux qui périodiquement soutiennent la position inverse, comme l’école canadienne qui ne peut pas suivre aveuglément la parole de l’enfant. Celle-ci pouvant être mensongère comment savoir s’il y a manipulation de l’enfant par les parents ou s’il s’est passé vraiment quelque chose. Elle décrit des oscillations entre les positions de ceux qui affirment devoir intervenir et de ceux qui veulent se donner les moyens de ne pas punir les innocents.

Le vécu de l’enfant…

Dans un certain nombre de chapitre, elle apporte des faits cliniques sur lesquelles elle a travaillé ou sur lesquelles elle fait référence. Notamment dans un chapitre, elle reprend l’expérience qu’elle a eu des enfants ayant subi des traumatismes de guerre, en faisant une sorte de parallèle entre l’évolution d’un enfant traumatisé par faits de guerre et celle d’un enfant traumatisé par suite d’abus sexuel.

Elle considère que l’intérêt de l’enfant s’inscrit dans la lignée de l’abus sexuel non dit et traumatique de la réalité. Il ne faut pas trop se préoccuper du fantasme, il vaut mieux considérer dans tous les cas, quand il y a une suspicion, que l’on est dans un cas d’abus sexuel et ensuite se donner effectivement les moyens de permettre l’émergence de la parole de l’enfant par rapport à ce problème.

Dans ce registre, elle est pour une position un peu systématique sur la séparation de l’enfant de l’abuseur soupçonné et notamment elle propose d’hospitaliser l’enfant et en tout cas de le séparer de son père pendant une période suffisamment longue. Elle dit que l’enfant pourra retrouver son père quand son système psychique sera structuré ou qu’il aura suffisamment évolué pour que le retour ne présente plus de danger, ce retour se situant vraisemblablement lorsque l’enfant sera adolescente ou peut-être même un peu plus tard. Elle se situe bien dans la perspective que l’enfant puisse revoir son père à l’âge adulte ou à l’adolescence.

La question devient donc : la séparation (l’hospitalisation) est-elle le moyen de permettre l’émergence d’une parole de l’enfant ?

4.2. Le piège du soupçon de Bensussan

Une autre vision…

Dans ce livre, l’auteur ne prend pas de position dogmatique et il est aussi pragmatique que possible. Son livre est moins théorisé notamment sur l’histoire. Son titre l’indique d’ailleurs bien. Il rapporte un certain nombre de situations. Ainsi certaines mères aux USA sont obligées de changer d’Etat tous les six mois pour se soustraire à l’obligation légale de présentation de l’enfant au père. Et à l’inverse, quand l’enfant est soustrait du père on s’aperçoit que cela peut déclencher des catastrophes sur l’évolution de l’enfant. Il reprend aussi la question du mensonge de l’enfant.

Si pour Catherine Bonnet l’enfant dit la vérité, sur un autre bord et dans le droit fil de l’école canadienne Bensussan montre à quel point la parole de l’enfant a pu être influencée par certaines mères de telle sorte que l’enfant dise exactement le contraire de ce qui s’est passé et que cela lui sera dommageable par la suite : notamment en regard de la culpabilité qu’il en a et des conséquences que cela a entraîné sur son père dans la suite des évènements.

La question des certificats

Il cite sans la nommer (Catherine Bonnet) pour éviter des poursuites sur la question des certificats. Sur ce sujet sans être en opposition complète il s’écarte de toute théorisation.

Catherine Bonnet a (ce n’est pas un secret) des ennuis avec le Conseil de l’Ordre car elle délivre des certificats de façon trop systématique.

Bensussan montre que dans ces certificats trop souvent on se met dans l’illégalité et qu’en prenant partie cela n’est pas toujours favorable à l’intérêt des enfants.

Ses propositions sont plus nuancées et son argumentation est de dire : « faites attention, car dés qu’il y a signalement cela débouche sur une séparation du père et de l’enfant, et de toute façon l’enfant ne verra plus son père avant l’âge adulte ». Donc si on est dans la suspicion on est déjà dans la séparation.


5.  REPÈRE pour le Passionnel

5.1. Le passionnel

Il est toujours présent bien qu’il ne soit pas clairement défini dans le contexte de situation d’abus sexuels ou d’incestes chez l’enfant. Il permet aussi de comprendre les positions des pères, des mères dans ces situations et comprendre comment, nous médecins, nous pouvons nous faire impliquer dans ces situations sans en être suffisamment avertis. En effet, le passionnel :

4    N’est pas, ici, une structure, une personnalité particulière mais un élément passionnel qui peut exister dans différentes structures, dans différentes personnalités.

4    Répond bien à ces situations d’excès dés qu’on parle d’abus sexuel, que ce soit des faits

o        De l’inceste lui-même

o        Des faits éventuels avec les réactions entraînées par ceux  qui sont mêlés de quelque manière que ce soit à la situation.

5.2. Quelques données « médico-littéraires »

Pour mieux démêler le rôle du passionnel dans les abus sexuels, quelques données médico-littéraires.

Carmen

« Si je t’aime, prends garde à toi … ». C’est tout le champ (chant) du passionnel qui se trouve dans cette phrase.

Le passionnel se retrouve aussi dans l’érotomanie. Ce qui est intéressant dans l’érotomanie c’est que le passionnel se retrouve toujours : chez l’extrême psychotique il est clairement exprimé ; mais il est aussi retrouvé pratiquement à chaque fois qu’il existe une situation passionnelle que ce soit dans la névrose, que ce soit dans les attitudes perverses.

Clérambaut et l’érotomanie

Cet auteur a contribué à définir la structure de l’érotomane. Sa recherche a consisté à reprendre les monomanies. Ce qui est important pour nous c’est qu’il a pu décrire une entité (contre ses collègues dans une recherche presque désespérée), un syndrome qui soit pur c’est-à-dire l’érotomanie pure. Cette érotomanie consisterait en ce qu’une personne soit absolument persuadée que quelqu’un d’autre qu’elle n’a éventuellement jamais vu soit follement épris de lui ou d’elle, sans qu’il y ait par ailleurs, chez cette personne, d’autres altérations psychiques. Ce sont des gens qui peuvent mener une vie apparemment normale et être très efficient dans les autres domaines de leur vie. Ce sont des gens qui pourraient un jour déclarer un épisode érotomaniaque sans que jamais ils n’aient vécu un épisode psychotique.

Le « coup de foudre » est une expression qu’utilise Clérambaut dans son livre. C’est-à-dire l’érotomane se déclare un jour avoir la certitude qu’un tel qui peut être son voisin, son cousin ou le roi d’Angleterre est amoureux de lui et que tout ce qu’il va croiser et qu’il ne dit pas peut être interpréter comme tel. Un érotomane, par exemple, voyant le jardin de celui qui est sensé l’aimer se dit : « tiens il a tondu sa pelouse, c’est un signe pour que je me souvienne qu’il m’aime ». On voit là, la recherche de Clérambaut à mettre en évidence une érotomanie pure. Il n’est pas sûr qu’il ait réellement découvert la forme pure, mais il a décrit des formes associées à des éléments paranoïaques ou de revendication … .

« Les destins du plaisir » de P. Aulagnier

La passion

Dans son livre « Les destins du plaisir » P. Aulagnier définit ce qu’est la relation passionnelle et son correspondant qu’est la relation d’aliénation. Il s’agit là d’un couple où le sujet « passionné » entraîne une aliénation de celui qui subit sa passion. Pour celui qui va éprouver la passion, il a l’impression que l’objet de sa passion est tout puissant ; tout puissant se signifiant comme ne pouvant être atteint par aucun sentiment et ne pouvant pas en distribuer. Il a le sentiment qu’il peut vivre sa passion mais que cela ne le détruira pas.

L’idéalisation de l’objet passionnel entraîne chez celui qui vit sa passion un sentiment que rien ne pourra le faire souffrir et que l’objet de sa passion est le seul qui pourra lui donner du plaisir notamment sur le plan sexuel.

Le passionnel peut survenir dans une relation qui était jusque-là habituelle, qui un jour connaît le coup de foudre et à partir de ce moment se fera sur un mode passionnel.

La passion peut s’éteindre très rapidement et presque totalement (coup de foudre inverse), avec ce que cela peut entraîner pour l’objet amoureux. (incompréhension, questionnement sur le pourquoi des élans amoureux …)

Les dérives

La passion peut s’appliquer aussi bien à la drogue, aux personnes qui ont la passion des cartes …, mais l’objet amoureux peut aussi être un enfant. C’est pourquoi l’adulte abuseur peut ne pas se sentir tellement coupable puisque cet objet idéalisé et tout puissant ne peut pas souffrir. L’adulte abuseur ou le pédophile peut très bien avoir des pratiques sexuelles avec un enfant et se trouver de bonnes raisons à son comportement :

4    « Ce n’est pas grave, il est trop jeune il ne se souviendra pas, de toute façon comme il aime ça je ne lui ai pas fait mal… »

4     « De toute façon, c’est une bonne initiation pour sa vie d’adulte… ».

Ce comportement correspond à un comportement de type passionnel.

L’article de Julia Kristeva.

Elle y décrit la scène hystérique comme objet passionnel. Une relation précoce, traumatique avec la mère et à sa suite durant toute sa vie induit des états de rage hystérique chez l’adulte, caractérisés par des accès de très grande violence notamment verbale pouvant durer des heures, avec un dédoublement de la personnalité c’est-à-dire que la crise passée, l’hystérique ne se reconnaît plus dans ce qu’elle a fait tout en sachant bien qu’elle l’a fait.

Ceci pour comprendre la position que prennent certaines femmes dans leur revendication par rapport à leur ex-conjoint et leur extrême violence dans cette passion dès qu’il y a suspicion d’abus sexuel chez l’enfant.

La violence de la réaction maternelle peut se comprendre si on se situe dans la réalité du traumatisme ; et aussi prendre un autre aspect si elle se situe dans le cadre d’une scène hystérique ne venant pas cautionner la réalité.

« La guérison dans la psychanalyse » de Nathalie Zaltzman

Un autre exemple peut être pris dans « la guérison dans la psychanalyse ». Nathalie Zaltzman évoque la cure d’un homme à la suite de conduite à risque (tentative de suicide, toxicomanie, accidents). Cet homme demande au début de son analyse à être respecté dans sa passion pour les enfants non pubères. Il est intéressant de voir que cet objet passionnel, qui a tous les caractères de la passion, est aussi pour le pédophile un objet mélancolique. Un objet mélancolique se définit comme un objet que le sujet investit comme un objet déjà perdu. C’est-à-dire que lorsque le pédophile a commencé, l’objet est déjà perdu au sens où il sera désinvesti quelques mois plus tard au moment de la puberté. Cela entraînera chez lui à nouveau un syndrome dépressif. L’objet passionnel vient recouvrir l’objet mélancolique et il me semble que la relation passionnelle vient très souvent colmater une structure mélancolique sinon franche ou tout au moins un vide qui s’apparente à la mélancolie. Cet état mélancolique est parfois colmaté par du secondaire mais pas suffisamment pour que le sujet n’ait pas besoin à certains moments de passer par une relation passionnelle pour restructurer sa vie.

6.  En conclusion

Vis à vis des situations de déviation, d’incestes, de toute la violence qui se répète, de tous les excès auquel on est confronté, à quel repère notre comportement doit-il se référer ?.

6.1. Premier repère : la référence au passionnel…

Peut-être le repère qu’il faut avoir est celui de la référence au passionnel, avec cette idée que dans le passionnel on est aussi toujours dans le pulsionnel c’est-à-dire dans une mise en acte d’éléments issus de processus primaires. Il existe là un travail de déliaison des pulsions qui sont clairement du registre de la pulsion de mort. C’est le moment où l’on peut le mieux percevoir, cerner, toucher ce qu’est la pulsion de mort puisqu’elle est toujours liée à d’autres pulsions. Ici, c’est une expression de la sexualité qui traduit la pulsion de mort. Ce n’est pas toujours aussi clair. Ici on peut le repérer et le repérant peut s’orienter. Cette position théorique permet sur le plan pratique de toujours se souvenir que, lorsqu’on est dans une situation de suspicion d’abus sexuel, on est soi-même pris dans le même risque pulsionnel ; on est toujours tenté de poser des arguments qui ne sont pas toujours suffisamment réfléchis et qui risque de nous induire nous-mêmes dans du passionnel. Il en est ainsi lorsqu’on tente de prendre position et que pour essayer de sortir de ce débat coloré on envisage une réalité traumatique tout en prenant une position passionnelle. Il faut toujours se garder de le faire, avec une extrême prudence.

6.2. Second repère : la souffrance de l’enfant

Un autre repère paraît utile à signaler. Dès le début, chez l’enfant, il se produit sinon un arrêt, du moins un ralentissement grave de tout le processus de fantasmatisation autour de la théorie sexuelle infantile et c’est toute la créativité de l’enfant qui va en souffrir.

Ce sont des enfants qui en plus d’être tristes, en plus d’avoir des difficultés sur le plan cognitif pourront être effectivement très en retrait de la réalité. Il y a tout un processus d’imagination, de création qui se fera mal.

Je ne suis pas en train de dire qu’il y a des signes cliniques qui permettent de se repérer, mais j’essaye de donner des modes d’être, des modes de vie qui permettent un peu de s’y retrouver et de se repérer par rapport à ces situations d’abus…