EPU95 – Montmorency

Médecine Interne

 Mise à jour du 10 Mai 2007*

Exploration d’une anémie

Pr. A. Najman

Chef de service Hématologie (Hôpital Saint Antoine)

Séance du 3 mai 2001

 

Si en hématologie, les affections malignes sont les situations qui préoccupent le plus le spécialiste, en pratique courante le problème des anémies est la situation la plus fréquemment rencontrée.

DÉFINITION

Généralités

On entend souvent dire qu’une anémie se définit par le taux d’hémoglobine (Hb), ce qui est tout à fait exact mais de peu d’intérêt quand il s’agit de raisonner devant le diagnostic.

Avant de raisonner, il faut se souvenir qu’une anémie c’est, d’abord, la baisse du nombre de globules rouges (GR), plutôt que la baisse de l’Hb et de l’hématocrite par unité de volume. C’est grâce à cela que l’on peut avoir des constantes.

Pourquoi parle t-on du taux d’hémoglobine ?

Parce que sur le plan physiopathologique, c’est la baisse du taux de l’Hb qui limite les possibilités du transport de l’oxygène vers les tissus et c’est elle qui constitue l’élément biologique stimulant principal de l’érythropoïèse.  Cette définition nécessite une réserve liée aux variations primaires du volume plasmatique :

4    Par dilution comme dans la grossesse (vers le 6° mois de la grossesse le taux d’Hb et d’hématocrite est en dessous de celui existant avant la grossesse) ; il s’agit de l’état physiologique de la grossesse qui est à différencier de l’anémie par carence en fer ;

4    Par hémoconcentration plus rarement.

MÉCANISME DE L’ANÉMIE

Une anémie est toujours due à une rupture de l’équilibre physiologique entre la production des GR (médullaire) et leur disparition (périphérique).

Première question à se poser : quel mécanisme est en cause ?

Insuffisance de production de G.R.

4    Une insuffisance médullaire quantitative par disparition de la lignée érythroblastique

4   Isolée à la lignée rouge è érythroblastopénie, affection rare,

4   Associée à l’ensemble du tissu hématopoïétique réalisant une pancytopénie.

4    Une insuffisance qualitative, par maturation anormale aboutissant à un défaut de production globale des GR, par :

4   Une carence vitaminique (acide folique, vit B12) avec existence de mégaloblastes,

4   Une carence en fer,

4   Des anomalies de distribution un peu plus compliquées

Excès de disparition des G.R.

Elle est d’origine périphérique. Elle est en relation avec :

4    Une hémorragie

4    Une hyper-hémolyse qui s’accompagne d’un raccourcissement de la durée de vie des hématies :

o        Anomalie corpusculaire du GR (héréditaire surtout)

o        Anomalie extra corpusculaire (immunologique, …)

Quelle est la réponse médullaire à l’anémie ?

La moelle fonctionne bien lorsqu’il s’agit d’une anémie régénérative et, à l’inverse, elle va mal fonctionner au cours d’une anémie arégénérative.

Les réticulocytes

Les réticulocytes sont des G.R. qui viennent de sortir de la moelle, reconnaissables par leur grande taille et la présence à l’intérieur de leur cytoplasme d’organelles facilement repérables. Ils ont un intérêt d’investigation important, car ils font partie de la seule lignée sanguine où l’on peut voir des cellules qui sortent de la moelle et qui ont une valeur d’indication sur le fonctionnement de cette moelle. Le taux de réticulocytes par mm3, habituellement pris comme élément permettant d’étudier la réponse médullaire, est à évaluer en valeur absolue et non en pourcentage. 

4    Normalement compris entre 40.000 et 120.000 par mm3,

4    Supérieur à 120.000 dans une anémie régénérative,

4    Inférieur à 40.000 dans une anémie arégénérative.

Le taux de réticulocytes pris tel quel est insuffisant pour être à l’abri de certaines erreurs de diagnostic.

L’index des réticulocytes

Il est corrigé en fonction de la gravité de l’anémie permet d’éviter ces erreurs. En fonction de la gravité de l’anémie, le pourcentage de réticulocytes qu’il faudrait avoir pour affirmer qu’il existe ou non une réponse médullaire est variable.

En effet pour que le taux de réticulocytes soit fiable, il faudrait qu’il y ait une corrélation entre le taux de réticulocytes et l’importance de l’anémie. Ce qui n’est pas exact quand on retient seulement le taux de réticulocytes.

Les réticulocytes restent plus longtemps que prévu dans le sang (au lieu de 24 h, c’est 36 h voire même plus).

Si l’on dit que les GR vivent 120 jours, il faut que chaque jour 1/120è de la masse globulaire se reproduise, et l’on devrait retrouver dans le sang circulant une même masse sous forme de réticulocytes.

Or, on a un chiffre beaucoup plus élevé de réticulocytes à l’état normal parce qu’ils vont rester plus longtemps dans le sang sous forme de réticulocytes.

Si l’on a affaire à une anémie à 6 g d’Hb, 2 millions de GR et 150 000 réticulocytes, on pourrait évoquer une anémie régénérative ; or elle ne l’est pas, car ce taux de réticulocytes n’est pas suffisant pour répondre à l’importance de l’anémie. Le taux de réticulocytes nécessaire à une bonne régénération est fonction de la gravité de l’anémie.

L’index corrigé des réticulocytes permet une meilleure approche de la fonction médullaire car il tient compte :

4    Du degré de l’anémie

4    De l’hématocrite observé

4    De l’index de correction = Hte observé/Hte théorique

4    Du taux corrigé des réticulocytes = Taux réticulocytes (fourni par le laboratoire) x Index de correction.

Ainsi, une anémie à 2 gr avec un Hte à 20% pour un hématocrite théorique à 40%, donne un taux corrigé de réticulocytes à 75 000 ce qui traduit l’insuffisance de régénération, alors qu’on aurait pu classer cette anémie comme régénérative.

L’ORIENTATION ETIOLOGIQUE

Le volume globulaire moyen (VGM)

Il va permettre de s’orienter dans le classement des anémies :

4    Beaucoup de mécanismes qui entraînent une anémie retentissent sur les caractéristiques du VGM. Il est possible d’évoquer de façon immédiate les causes de l’anémie en fonction du VGM.

4    Les appareils automatiques fournissent directement le volume globulaire moyen (sans calcul mathématique mais par l’observation de chaque GR qui passe devant le faisceau)

4    Il peut être contrôlé en cas de doute facilement sur lame.

Il en découle le classement des anémies en :

4    Anémie microcytaire lorsque le VGM ≤ 80 µ3

4    Anémie macrocytaire lorsque le VGM est > à 100 µ3

4    Anémie normocytaire lorsque le VGM se situe entre 80 et 100 µ3

La concentration corpusculaire moyenne des hématies (CCMH)

Elle est beaucoup plus secondaire que le VGM :

4    Elle correspond au rapport charge en Hb de chaque cellule / son volume cellulaire,

4    Elle permet de classer les anémies, comme on le faisait auparavant, en anémie hypochrome et anémie normochrome. Quant à l’anémie hyperchrome, elle n’existe pas, car il ne peut y avoir dans une cellule plus d’hémoglobine qu’elle ne peut en contenir (à un certain taux l’hémoglobine précipite entraînant la disparition de l’hématie).

Tous les examens décrits n’ont de valeur que si le patient n’a pas été transfusé ou soumis à un traitement réparateur.

LES ANEMIES MICROCYTAIRES

Généralités

Dans les anémies microcytaires, les globules sont petits et cela est lié à une diminution de la production d’hémoglobine.

Sur le plan physiopathologique il y a une relation entre la synthèse de l’hémoglobine et la division cellulaire. Quand il n’y a pas assez d’hémoglobine, l’érythroblaste ne se divise plus ce qui aboutit à des petits globules rouges.

Il existe deux causes d’insuffisance d’hémoglobine :

4      La carence en fer :

-             par carence vraie

-             par mauvaise utilisation du fer stocké

4      L’altération de l’appareil de synthèse de l’hémoglobine

Conduite à tenir devant une anémie microcytaire

Devant une anémie microcytaire, la première des choses à faire est de déterminer :

4    Le taux de fer sérique,

4    Le taux de la transférrine (ou de sidérophylline)

4    Le coefficient de saturation de la transférrine.

La ferritine, ne peut être associée aux examens précédents dans le cadre du consensus de référence opposable. Elle apporte moins de précisions à elle seule que les 3 examens précédents. Avec ces examens, on peut interpréter deux situations :

4    Une anémie avec carence en fer correspondant aux anémies hyposidérémiques,

4    Une anémie sans carence en fer qui peut être normo ou hypersidérémiques

Les anémies par carence en fer

Elles correspondent à environ 90 % des anémies de pratique courante qui doivent être séparées en deux groupes :

Les anémies par carence en fer vraie avec un stock de fer épuisé

Le tableau associe une anémie microcytaire hypochrome à :

4    Hyperplaquettose

4    Taux de réticulocytes est toujours insuffisant

4    Un fer sérique bas

4    Un taux de transferrine élevé           caractéristique

4    Un coefficient de saturation effondré

Sur le plan clinique possibilité d’altération des ongles (concaves), de langue lisse, d’un dysphagie haut située (Plummer-Vinson) se corrigeant sous traitement martial.

C’est dans ce cadre que l’on retrouve les anémies par saignement, les anémies de la grossesse, les anémies par malabsorption ou par carence d’apport.

Les anémies des syndromes inflammatoires

Le tableau associe une anémie microcytaire à :

4    Hyperplaquettose

4    Réticulocytose insuffisante

4    Un fer sérique bas

4    Un taux de transferrine jamais augmenté car il n’y a pas d’anomalie du stock du fer sérique, mais il y a une mauvaise utilisation du fer sous l’influence des cytokines inflammatoires.

4    De sorte que le coefficient de saturation est variable

4    Une ferritine normale ou élevée

Ces anémies de type inflammatoire se retrouvent au cours des infections chroniques, les connectivites, …

Dans le cadre des anémies microcytaires avec fer sérique bas, il est donc relativement aisé de faire la distinction entre l’anémie par carence en fer vraie et l’anémie inflammatoire.

Les anémies microcytaires avec fer sérique normal

Elles sont liées à une anomalie de la synthèse de l’hémoglobine, qui peut être soit congénitale soit acquise.

L’anémie microcytaire congénitale

Elle est représentée par les thalassémies

Maladie de l’hémoglobine très répandue dans le pourtour méditerranéen, qui donne une hémolyse avec pour corollaire un taux de réticulocytes élevé et une érythroblastose sanguine fréquente.

Dans la forme mineure, il existe beaucoup de GR, un taux d’Hb et d’hématocrite normal.

Le diagnostic est porté sur l’électrophorèse de l’hémoglobine.

Les anémies microcytaires acquises, sans carence en fer

Elles sont représentées par

4    L’intoxication par le plomb avec une tendance hémolytique tout à fait caractéristique. Le plomb agit sur deux enzymes qui sont nécessaires à la fabrication de l’hème d’où un défaut de synthèse de l’hémoglobine.

4    L’anémie réfractaire sidéroblastique correspondant à un type de myélodysplasie survenant chez le sujet âgé (affection rare).

LES ANEMIES MACROCYTAIRES

Les « vraies » et les « fausses » !

Dans les anémies macrocytaires, le VGM est supérieur à 100 µ3. Il y a 2 causes d’erreurs possibles d’interprétation, devant un résultat évoquant une macrocytose :

4    Une macrocytose due à un pourcentage important de réticulocytes (20 à 30 %) car ceux-ci ont un VGM beaucoup plus élevé que les GR adultes. Il ne s’agit pas ici d’une vraie macrocytose mais liée au fait qu’une partie importante de la population est faite de réticulocytes.

4    Une fausse macrocytose liée à l’existence d’agglutinines froides dans le sang circulant qui dans les conditions de température normale du laboratoire vont provoquer l’agglutination des GR. L’appareil ne va pas distinguer entre les amas d’hématies et celles qui sont libres.

On doit penser qu’il y a une erreur chaque fois que le VGM dépasse 135 µ3. Normalement le biologiste devrait regarder directement sur une lame ce qui se passe.

Par carence vitaminique (vitamine B12 ou acide folique)

Pancytopénie et pas seulement une anémie, car ces vitamines sont nécessaires pour toutes les lignées sanguines. Elle est caractérisée par :

4    Des globules blancs de grandes tailles et les polynucléaires sont multilobés.

4    Un taux de réticulocytes est abaissé

4    Un taux de bilirubine est élevé, lié à une hémolyse

4    Une mégaloblastose médullaire.

Sur le plan clinique, une langue lisse

Les Myélodysplasies

Généralités

Il s’agit d’une pathologie qui actuellement est en augmentation survenant :

4    Spontanément chez les personnes âgées

4    Chez des patients qui ont reçu une chimiothérapie pour des cancers ou même pour des lymphomes et myélomes.

Ici, la langue est normale et cela peut servir d’orientation clinique

Les myélodysplasies

Elles concernent des sujets qui ont des cytopénies qui peuvent au départ toucher une lignée isolée (anémie, ou leucopénie, ou thrombopénie). Parmi elles on distingue plusieurs types en sachant qu’il existe surtout 2 grands types.

 

 

Classification des myélodysplasies

Sang

blastes

Moelle

blastes

Sidéroblastes

en couronne

Myélodysplasie

Anémie réfractaire

< 1

< 5

< 15

+

Anémie sidéroblastique

< 1

< 5

< 15

+

Anémie réfractaire avec excès de blastes

< 5

5 à 20

Variable

+

Anémie réfractaire en transformation

> 5

20 à 30

variable

+

 

Les anémies réfractaires et sidéroblastiques

Elles sont en général des anémies isolées, plutôt légèrement macrocytaires sans carence vitaminique. Une moelle riche en cellules mais ces cellules ne sont pas franchement normales et par une coloration spéciale il peut souvent être mis en évidence un excès de fer dans les érythroblastes appelés alors sidéroblastes.

Ces sujets ont une maladie extrêmement peu évolutive pouvant durer des années et ne pas être traités pendant longtemps, pour ensuite avoir besoin de transfusions.

Elles évoluent rarement vers une leucémie.

Les anémies réfractaires avec excès de blastes, et en transformation

Elles concernent des sujets qui ont une bicytopénie ou une leucopénie qui n’est pas très claire et qui au niveau de la moelle osseuse ont un excès de cellules jeunes de la lignée granuleuse qui sont des blastes vrais leucémiques et qui parfois évoluent plus rapidement vers une leucémie aiguë.

L’évolution est ici totalement différente, sur 2 à 3 ans maximum.

Il s’agit d’une situation très difficile à traiter.

Après chimiothérapie, on a plutôt affaire à ce type de pathologie.

En guise de conclusion…

Une anémie macrocytaire évoque principalement une maladie de la moelle et il faut rechercher ce qui se passe au niveau de la moelle osseuse.

Chez les sujets âgés devant une macrocytose, il faut penser à une myélodysplasie, mais également à la malnutrition avec un déficit léger en vitamine B 12 ou en folates (très sensible à la cuisson). On peut éviter chez eux de faire une étude médullaire mais se contenter d’un dosage en fer, en vit B12, acide folique, et anticorps du facteur intrinsèque.

Ne pas oublier chez les sujets âgés les carences mixtes ou les causes multiples d’anémie qui vont modifier les données hématologiques.

LES ANEMIES NORMOCYTAIRES

Les circonstances de découverte

Les anémies normocytaires (à la condition qu’il n’y ait pas eu de transfusion ni de traitement) se rencontrent dans 5 circonstances :

4    Dans l’hémorragie aiguë, où le diagnostic est évident : il y a perte de plasma en même temps que les globules, et il n’y a aucune raison que les GR soient modifiés dans leur volume. La réticulocytose est très élevée et il existe une myélémie.

4    Dans l’insuffisance médullaire quantitative par réduction du tissu médullaire. Il y a peu d’érythroblastes d’où l’anémie. Les réticulocytes sont bas et le plus souvent il s’agit d’une pancytopénie.

4    Dans l’hyperhémolyse pathologique congénitale ou acquise, avec des signes faciles à reconnaître avec une réticulocytose et un taux de bilirubine élevés, une haptoglobine effondrée et une déformation importante des hématies.

4    Lors de la diminution de production de l’érythropoïétine qui n’a pas d’effet sur les lignées autres que la lignée rouge. Elle se rencontre dans le cadre :

o        De l’insuffisance rénale 

o        De l’insuffisance thyroïdienne

Dans ces deux cas-là, la réticulocytose est insuffisante et les autres lignées sont normales.

4    Les phénomènes inflammatoires, à leur début, donnent une anémie normocytaire et ce n’est que lorsque la maladie dure longtemps que l’on aboutit à une situation microcytaire.

Au total

Devant une anémie normocytaire, 5 causes sont à rechercher, à passer en revue pour en général trouver le mécanisme responsable.

QUELQUES RÈGLES A NE PAS OUBLIER

Il faut prélever un certain nombre de données lors d’une exploration d’anémie

Avant toute transfusion : Les principales données qui vont être perturbées par la transfusion sont : l’étude des enzymes du GR, ou bien le type d’hémoglobine, le taux de réticulocytes.

Par contre la transfusion ne gêne pas pour le dosage du fer et les dosages vitaminiques, de même pour la recherche d’un mécanisme autoimmun (car il est possible de distinguer ce qui est une allo-immunisation de ce qui est une auto-immunisation).

Avant tout traitement, car celui-ci peut modifier les données et empêcher de ce fait de bien raisonner.

L’intérêt de la ferritine

Il se situe essentiellement quand il y a une difficulté à faire la différence entre l’anémie par carence vraie en fer et l’anémie des syndromes inflammatoires.

Le dosage de la ferritine paraît un peu moins précis car les normes fournis sont extrêmement étagées qui vont de 10 µg/l jusqu’à 180 µg/l, car la ferritine est une protéine qui est dans le plasma pour différentes raisons et pas seulement liées à des problèmes de fer. On peut également trouver une ferritine très élevée non liée à une situation inflammatoire.

Par contre son dosage peut être demandé dans le suivi du traitement d’une carence en fer vraie, pour savoir si le stock en fer est reconstitué (après 3 ou 4 mois de traitement martial).

Le traitement martial

Dans le traitement pour carence vraie en fer, il faut commencer par la voie orale et se souvenir que le Tardyféron B9 ® est faiblement dosé et qu’il vaut mieux utiliser le Tardyféron® 4 fois plus dosé en fer.

En cas d’intolérance du fer oral, il existe actuellement une forme par voie intraveineuse le Veinofer®.